20 Août 2018
On m’a partagé dans les commentaires un long article sur Sunsoft: http://www.vgarc.org/vgarc-originals/the-history-of-sunsoft-part-i-before-sunsoft/
Ça m’a donné envie de parler de Sunsoft et de compléter l’article avec les constats que j’avais pu faire moi même sur les jeux Sunsoft et leurs choix techniques. Notamment sur la signature sonore de Sunsoft sur laquelle je vais m’attarder ainsi que 2 ou 3 autres éléments.
Qui est Sunsoft? C’est un acteur du jeu vidéo Japonais, au départ fabriquant de machines diverses, puis de pachinko, puis de jeux d’arcade. Le parcours assez classique des grands acteurs historiques du jeux vidéo Japonais. La production arcade de Sunsoft est assez anecdotique et rapidement Sunsoft va tout miser sur la Famicom. C’est une époque faste. La Famicom a fait émerger quelques géants comme Hudson Soft jusqu’à financer sa propre concurrence (coucou la PCE). Et au final ce qu’on retient de Sunsoft c’est principalement cette période Famicom. C’est bien là qu’ils ont brillé.
Les jeux Sunsoft ont d’abord une signature sonore. Évidemment une partie de cette signature vient en général du compositeur, ici Naoki Kodaka, mais à cette époque une musique c’est aussi beaucoup de programmation et donc la sound team c’est avant tout des programmeurs (Nobuyuki Hara , Naohisa Morota, Shinichi Seya) qui vont devoir donner vie et mettre en relief les partitions de Kodaka.
Le son sur machine 8bit que ce soit console, micro ou arcade se résumait en grande partie au son PSG (Pulse ou Programmable Sound Generator) qui était primitif mais efficace. Ce sont des générateurs d’ondes et le plus souvent d’ondes carrées car c’est le plus simple à générer de façon numérique. C’est une onde totalement binaire avec juste 2 états , low et high. Le générateur produit lui-même cette onde en alternant simplement les phases 010101010101... et le programmeur va pouvoir agir sur la fréquence (pour produire des notes) et sur le volume mais guère plus. L'intérêt de ce type de générateur c'est donc la capacité à tenir une note de façon autonome sans solliciter le CPU. C'est pas grand chose mais c'est déjà bien. Le son PSG laissera vite la place au son FM (surtout en arcade) puis au sampling. Mais on retrouve quand même du son PSG sur des machines 16bit comme l’Atari ST ou en complément dans la Megadrive et la Neogeo.
Les premières années d’exploration des chips audio PSG et de leur programmation vont donner des progrès assez fulgurants. Au lieu de simplement tenir des notes successives les programmeurs vont fournir de plus en plus de possibilités, de contrôle ou d’effets. Gérer l’enveloppe (un contrôle fin du volume qui consiste à découper la note en plusieurs phases, attaque, extinction, etc...), faire des effets en modulant ou en slidant la fréquence ou le volume voir le duty cycle. Simuler de l’écho ou un accord ou de la polyphonie sur un seul canal. Multiplexer la musique et les bruitages pour profiter de tous les canaux, etc... si bien que la différence entre une musique Famicom de 83 et de 86 puis 90 est abyssale. Il y a eu une vraie phase d’apprentissage de la chiptune dans les années 80 à partir de zéro. Il suffit par exemple d’écouter à quoi ressemblait le son sur Intellivision qui a le même soundchip qu’un Atari ST même si ici il y a aussi une grosse différence de ressources CPU, RAM, ROM entre les machines et ça compte beaucoup pour le son.
L’une des techniques audio innovantes chez Sunsoft sera nommée Sunsoft Bass et va participer à cette identité car on la retrouvera dans tous les gros jeux Sunsoft suivant son invention. Mais avant d’arriver à ce choix technique, Sunsoft, comme les autres, va beaucoup progresser dans son sound design pour arriver déjà à des jeux assez abouti comme Blaster Master en 88, premier gros succès (principalement au US) de Sunsoft:
Puis le génialissime Batman fin 89 avec son OST diabolique ou le talent du compositeur transpire (le stage 1 le 4, love) et le sound design atteint une certaine maturité:
Toujours pas de “Sunsoft Bass” ici. Pour aller plus loin, je vais devoir vous faire une petite description du chip audio de la NES histoire de mieux comprendre.
Le sound chip de la NES est intégré dans le même chip qui contient le CPU (comme sur PC-Engine) et de type PSG mais entièrement custom. Il faut le signaler car à cette époque quasiment tous les sound chips PSG utilisés dans les consoles ou micros 8bit ou en arcade sont en général les mêmes. Soit celui de Texas Instrument, soit celui de Général Instrument, si ont fait exception du C64 et son indétrônable SID ou du Pokey des micros Atari.
Le soundchip de la NES ( RP2A03 ) est constitué de 5 canaux:
Ce canal DMC va être la base de la méthode “Sunsoft Bass”. A l’époque où j’avais analysé les jeux Sunsoft j’avais écrit un script pour aspirer automatiquement les samples DMC pendant que je jouais et transformer chaque sample en .wav individuel que je vais donc pouvoir vous partager.
Revenons donc maintenant sur Batman avec comme exemple cette track culte du premier level:
Il n'y a pas encore de "Sunsoft Bass" mais la technique musicale commence à être bien maîtrisée chez Sunsoft. Ici les 5 canaux sont utilisés. On va laisser de côté les squares qui portent la mélodie et s’attarder sur les 3 autres. Je vous ai isolé chaque canal. Le Triangle, le DMC et le Noise:
Malgré l'absence de "Sunsoft Bass" dans ce Batman on a tout de même un usage appuyé du canal DMC pour la musique ce qui n’est pas si fréquent. C’est en général déjà un bon marqueur d’une certaine maîtrise du sound design NES. Ce n’est pas la première tentative d’usage du canal DMC chez Sunsoft. Blaster Master ne l’utilise pas mais y avait déjà eu 2 tentatives dans les portages NES des jeux Sega par Sunsoft comme Alien Syndrom (pour les bruitages de tir en simulant un triangle wave avec le DMC, curieuse utilisation) et After Burner avec même du sample vocale in-game:
Dans Batman c’est déjà un usage plus abouti avec un usage maîtrisé du DMC pour reproduire la batterie à l’aide de 3 samples différent qui sonnent plutôt bien. C’est vite devenu l’usage classique du canal DMC pour la musique. On l’utilise pour la batterie combiné avec le noise et on réserve le triangle wave pour la ligne de basse. Écoutez chaque canaux individuellement (posté plus haut) ou ici la combinaison DMC + Noise pour la batterie:
Et l’un des 3 samples de batterie isolé:
C’est bien maîtrisé et Batman aura permis à la sound team de Sunsoft d'apprivoiser le canal DMC mais ça reste un usage plutôt conventionnel de ces canaux en attendant l’arrivée de la technique “Sunsoft Bass”.
Le “Sunsoft Bass” sera parfaitement intronisée sur Journey to Silius mi-90 qui après Batman devait être une autre exploitation de licence, celle de Terminator, mais dont Sunsoft n’obtiendra pas la licence (des graphismes 8bit à cette époque d’émergence des 16bit avaient déçu les ayants-droit qui ne comprenaient pas).
C’est sur ce jeu que va se fixer la technique “Sunsoft Bass”. Ça va consister en une inversion de rôle des canaux triangle et DMC. Prenons comme exemple la track de l’écran titre:
Au delà de la composition incroyable (et pas mal d’effets de reverbe sur la ligne mélodique en combinant les 2 squares) ce qu’on va découvrir ici c’est que le canal DMC va être utilisé de façon non conventionnelle afin cette fois de supporter la ligne de basse à la place du canal triangle. Sunsoft va créer pour cela un set de samples de basse. Écoutez ce canal DMC isolé:
Et sur une autre track moins frénétique:
Et un sample isolé de la basse. Le sample historique de Sunsoft qui sera utilisé dans plusieurs jeux:
Le sample sonne vraiment bien quand on connaît les fortes limitations de ce canal. L'originalité et la difficulté de ce choix vient de l'intention de donner une fonction mélodique au canal DMC. La convention est de l’utiliser pour du bruitage, du vocal ou des percussions mais pas pour jouer des notes pour la simple raison que le canal DMC offre très peu de flexibilité sur la fréquence. Le canal DMC dispose de 16 nuances de fréquence (4 bit) contre plus de 2000 sur un canal square ou triangle (11 bit) sachant que baisser la fréquence DMC pour obtenir un son plus grave revient simplement à baisser la vitesse de restitution du sample et donc sa qualité d'échantillonnage. Et les différentes variations de fréquence sont sans corrélation directe avec celle d’une gamme musicale et donc ne tombent pas particulièrement sur des notes justes. À partir d’un seul sample on peut tirer peut-être 3 ou 4 notes exploitables et à condition de ne pas être trop exigeant sur la qualité. La solution idéale serait d'éviter de manipuler la fréquence du canal DMC pour bloquer celle-ci sur la qualité maximum et simplement stocker un sample différent pour chaque note mais ça serait un peu trop coûteux en espace.
Sunsoft choisit donc une voie intermédiaire. Pour produire ce son de basse ils vont mettre en place un set de 5 samples différent (1 ko chaque) plutôt de bonne qualité pour du DMC et qui représente chacun une note judicieusement choisie pour pouvoir ensuite produire les autres notes intermédiaires grâce à quelques variations de fréquence du canal DMC. Ce set de samples est strictement celui qu’on retrouvera ensuite dans tous les prochains jeux Sunsoft. Grâce à mon script, j’ai pu visualiser et comparer les samples ce qui me permet de confirmer que c'est bien le même. Voilà à quoi il ressemble ici découpé sur plusieurs lignes: (version fullres)
La conséquence importante de ce choix c’est aussi que le canal triangle normalement associé à la basse est donc maintenant totalement libre et va permettre à Sunsoft de pousser à son paroxysme une autre technique qui consiste à utiliser le triangle pour la grosse caisse et la caisse claire. Grâce à un effet de slide brutal de la fréquence du triangle wave en fin de note combiné au noise il est possible de restituer un son de batterie très convaincant pour du simple son PSG, encore mieux qu’un sample DMC:
le canal triangle seul:
le canal noise seul:
Cette technique avancée pour produire ce son de batterie n’est pas propre à Sunsoft, et on la trouve même déjà dans Blaster Master à quelques moments mais ici Sunsoft peut l’exploiter au mieux car il n'y a pas besoin de partager et entrelacer cela avec la basse. Le triangle étant complètement à disposition pour la batterie qui peut donc pleinement s’exprimer et c’est donc ça l’autre avantage du Sunsoft Bass. On sent aussi une bien meilleure maîtrise de l'utilisation du noise pour les percussions (comparez le canal noise avec celui de Batman plus haut dont l'usage est très basique) et c’est pas facile quand on sait que le noise à la base c’est juste du bruit blanc, faut des efforts pour en tirer quelque chose.
Avec ce son de basse “réaliste” combiné à ce son de batterie très réussi, on a une ligne rythmique vraiment pas commune pour une machine 8bit et qui dépote, c’est la signature Sunsoft. Typiquement ce qu’il manque par exemple à la Master System qu’on a eu chez nous qui peut plus difficilement s’exprimer en dehors de la ligne mélodique.
En réalité, cette transition de Batman à Journey to Silius avec l’apparition du “Sunsoft Bass” a été plus progressive qu'il y paraît. A la même période que Batman, Sunsoft sort aussi Fester’s Quest (même un peu avant mais le développement a probablement débuté après Batman) et déjà sur ce jeu la sound team teste l’idée de déporter la basse sur le canal DMC. Mais les samples sont de bien moindre qualité (4 samples de 320 octets) tout comme la combinaison triangle + noise pour la batterie plus primitive, et c'est assez hésitant selon les musiques qui parfois reprennent un usage plus conventionnel des différents canaux mais l’idée est là. Voici donc le premier sample de basse de Sunsoft:
L’idée sera à nouveau expérimentée quelques mois plus tard dans Nantettatte Baseball en améliorant la qualité (4 samples 512 octets) mais encore une fois ça reste timide et sur un seul thème du jeu. C’est vraiment Journey to Silius qui, 1 an après Fester’s Quest, va fixer la méthode et définir le set de sample de la basse qui servira ensuite dans les autres jeux.
A la suite de Journey to Silius les jeux marqués “Sunsoft Bass” vont s’enchaîner. Shangai 2 (Mahjong), puis le bien connu Gremlins 2 (toujours strictement le même set de samples), U-four-ia (Hebeke), Super Spy hunter, le prototype de Perscator (un Columns avec des pieuvres, jamais sorti), puis le second Batman “Return of the Joker”, Gimmick et pour terminer Honō no Tōkyūji 1 et 2, des jeux de volley/rpg.
Il y a quelques nuances quand même. Bizarrement "Batman Return of the Joker" utilise un set de samples différent pour la basse. C’est toujours 5 samples 1 ko selon la même formule, mais ce n’est pas la même basse. Le sample est moins riche, plus linéaire avec quasiment pas d’évolution sur sa longueur. On n'a pas le pincement de corde, j’aime moins mais peut-être que ça colle mieux aux besoins de l’OST. Ça s’adapte peut-être mieux à des cadences frénétiques.
C’est ce même set de samples de Batman Return of the Joker qui sera utilisé aussi dans Honō no Tōkyūji 1 et 2. Le dernier jeu Sunsoft qui utilise vraiment le set de samples historique du “Sunsoft Bass” c’est Gimmick, sauf qu'ils vont aussi lui ajouter un second set de samples pour une autre basse avec un timbre différent (et plein d’autre types de samples, probablement le jeu NES avec le plus de samples DMC, autour de 32 Ko, en plus d’utiliser un second sound chip PSG, un classique clone du Général Instrument AY-3-8910 qu’on trouve dans beaucoup de machines).
La signature sonore de Sunsoft consistait donc à exploiter au mieux les atouts spécifiques de la NES (canal DMC, canal Triangle), et on va voir que c’est une démarche récurrente chez Sunsoft, pas seulement pour l'audio.
La NES à un autre atout majeur qui lui est propre et qui concerne la façon dont est câblé le bus PPU (chip graphique) et le port cartouche. En effet sur les autres consoles seul le bus du CPU est relié au port cartouche et la ROM qui s'y trouve. Dans le cas de la NES, le port cartouche se voit connecté au bus CPU mais aussi au bus PPU. Ça implique que le CPU n’est donc pas le seul à avoir un accès direct au contenu de la cartouche comme dans les autres consoles : le PPU aussi a le droit à ce privilège. C’est quelque chose qu’on ne retrouve qu’en arcade (et donc sur NeoGeo aussi).
Il n’est pas question de partager la même ROM entre le CPU et le PPU. Le PPU a donc sa propre ROM dédiée dans la cartouche tel qu’en arcade et qu’on appelle ici CHR-ROM. “CHR” pour “characters” qui est un synonyme suranné de “tiles”. Cette ROM associée au PPU contient effectivement tout le set de tuiles graphiques qui servent à construire l’image, c’est sa fonction. Et en divisant cette CHR-ROM en multiples banks pour y appliquer du bank switching, on accède alors à de nouvelles possibilités car on peut changer le set de tuiles du PPU instantanément sans avoir à déplacer individuellement les tuiles, ce qui est très avantageux. C’est l’un des atouts de la NES sur la concurrence.
Mais il y a aussi un autre type de configuration de cartouche qui s'est imposé sur NES et qui consiste à tout mettre dans une seule et unique ROM (ce qui inclut les tuiles graphiques) et qui est donc la ROM associé au CPU (la PRG-ROM, PRG pour “program”). Ça consiste donc à se débarrasser de la CHR-ROM dans la cartouche mais on ne peut pas simplement l’enlever car le PPU continue d’aller s’alimenter dans la cartouche sur ce bus vide. Il faut donc remplacer la CHR-ROM par autre chose... par de la RAM. On va donc mettre l’équivalent d’une bank de 8Ko de RAM (le minimum pour couvrir la fonction du PPU) en lieu et place de la CHR-ROM et qu’on va appeler tout simplement CHR-RAM. On l'alimente alors en tuile par l’intermédiaire du CPU et de la PRG-ROM.
Une seule ROM multifonction dans la cartouche et un set de tuile en RAM c’est une configuration qui rappelle finalement les consoles classiques comme la Master System. Ça veut donc dire que dans cette configuration on fait l’impasse sur l’atout du CHR-ROM bank switching de la NES, mais en contrepartie on a un set de tuile en RAM qu’on peut construire sur mesure en combinant les tuiles qu’on veut (ceux en CHR-ROM sont des sets de tuiles prédéfinis et fixes), on peut même compresser des tuiles dans la PRG-ROM voir construire des tuiles en temps réel. C’est donc une configuration qui offre plus de flexibilité .
Tout ça pour vous dire que sur NES il y a eu 2 écoles, 2 types de configuration de cartouche et c’est important à comprendre. Les cartouches à base de CHR-ROM qui permettent d’exploiter un atout unique à la NES, et celle à base de CHR-RAM qui donne une machine plus classique mais plus flexible. La CHR-ROM est quand même majoritaire (environ 70%), mais beaucoup de jeux sont en configuration CHR-RAM. Par exemple, si on prend le cas de la série Megaman on a 4 épisodes en configuration CHR-RAM et seulement 2 en CHR-ROM (l’épisode 3 et 5).
Là où je veux en venir c’est que Sunsoft s'est vite imposé un usage systématique de cette configuration de cartouche avec CHR-ROM qui permet de profiter des atouts de la NES tout comme ils ont voulu exploiter au mieux la singularité du canal DMC de la NES. D’autant plus que Sunsoft faisait partie au Japon de ces privilégiés qui fabriquaient eux-même leurs cartouches Famicom et leurs mappers, ce qui leur a permis de concevoir des mappers sur-mesure avec une bonne finesse de bank switching. Le résultat est que la proportion de jeux Sunsoft dans cette configuration CHR-ROM se trouve supérieure à celle des autres éditeurs (c’est quasiment du 100%) ce qui en fait donc une autre signature de Sunsoft sur NES.
L’exploitation du CHR-ROM bank switching s’illustre très bien chez Sunsoft avec Batman "Return of the Joker" qui en fait un usage massif pour avoir un gros sprite bien animé et un background très animé (végétation, parallaxe des nuages) tout en 60fps.
Même dans le Batman premier du nom qui est plus modeste ça reste très utilisé pour avoir un background et un sprite de batman très bien animé:
Sunsoft va même aller plus loin encore en voulant exploiter à tout prix cette particularité hardware de la NES. Ils vont aller jusqu'à modifier leur mapper spécifiquement pour le jeu After Burner et ainsi être les seuls sur NES à avoir fait du bank switching de tilemap (en plus du classique bank switching de tileset). Cela permet de changer sans effort toute la composition de l’image et nous a offert cette séquence “relativement” réussie du canyon d’After Burner qui est plutôt ratée sur les versions Megadrive et PC-Engine, et carrément passée à la trappe sur la version Master System.
Quand la Famicom arrive dans les foyers, elle amène avec elle un scrolling entièrement câblé de façon hardware. C'était sa principale plus-value mais étonnamment les jeux Famicom feront l’impasse sur le scrolling pendant un long moment. Il faudra attendre une bonne année avant que la situation se débloque. L’ouverture de la plateforme et l’arrivée des tiers en 84 aidera à cela et de son côté Nintendo déplacera Miyamoto de l’arcade au département R&D4 avec pour mission de créer des jeux à scrolling sur Famicom. La suite vous la connaissez plus ou moins (Devil World > Excite Bike > Kung Fu > Super Mario Bros).
Sunsoft arrive un peu en retard sur Famicom, en 85, mais en contrepartie ils auront cette prise de conscience que la Famicom c’est effectivement avant tout du scrolling, c’est son ADN (même si sur ce point ce n’est pas une particularité de la NES, les consoles suivantes feront de même).
Pour bien comprendre la suite, il faut évoquer les différents types de scrolling. On a le scrolling classique horizontal ou vertical, c’est à dire un scrolling 2-way (Super Mario Bros, Xevious...) mais on a aussi ce qu’on appel le scrolling multidirectionnel (horizontal + vertical) qui sont 4-way (Dragon Quest) ou 8-way (Crystalis) selon que l’on peut scroller horizontalement et verticalement simultanément pendant la même frame ou pas. En d’autre mots la présence d’un scrolling diagonal (8-way) ou pas (4-way).
Mais il y a une autre subtilité sur NES liée au fait que sa mémoire vidéo contient en général l’équivalent de 2 écrans de jeu ce qui veut dire qu’un scrolling qui ne dépasse pas 2 écrans d’amplitude a un coût plus faible. Donc même si en apparence ça se ressemble, en interne et du point de vue développement c’est relativement différent. Pour ça je ferai la distinction entre un scrolling partiel (amplitude inférieur à 2 écrans) et un scrolling total. Par exemple, le vieux Lode Runner c’est du 2-way partiel (les 2 écrans du jeu sont intégralement stocké en VRAM de façon statique) et Super Mario Bros 3 du 8-way mais partiel aussi car seul le scrolling horizontal ou vertical est total, l’autre a toujours une amplitude volontairement bridée à 2 écrans donc partiel.
Le scrolling multidirectionnel n’est pas rare sur NES mais c’est pas non plus le standard, ça reste qu’une minorité des jeux et en ce qui concerne le cas plus particulier du scrolling 8-way total c’est plutôt rare sur NES. Ce qu’on peut constater chez Sunsoft c’est qu’ils vont très vite vouloir faire du scrolling multidirectionnel à une époque où les jeux Famicom commencent seulement à explorer le scrolling 2-way. Dès leur deuxième jeu ils vont proposer en 85 du scrolling 8-way dans Ikki (mais seulement partiel) et cela avant même le bien renommé The Legend of Kage de Taito, mais après le Star Force de Hudson Soft qui a initié le 8-way partiel. Fantasy Zone est aussi un autre jeu Sunsoft de cette catégorie.
Mais dès 1986, Sunsoft va proposer un jeu avec un scrolling 8-way total dans The Wing of Madoola qui fera partie des pionniers (c’est plus évident à voir sur le stage 3 à 4:30).
Et par la suite on constate que Sunsoft continuera de faire beaucoup de jeux à scrolling multidirectionnel total comme Tenka no Goikenban: Mito Koumon , Blaster Master, Mito Koumon 2, Alien Syndrome, Fester’s Quest , Batman , Gremlins 2 et peut-être d’autres que j’oublie. C’est beaucoup pour un type de scrolling relativement rare sur NES. Certainement l’éditeur qui a le plus utilisé ce type de scrolling, ce qui participe donc aussi à l’identité des jeux Sunsoft.
Sur ce point je vais être bref mais ça mérite d'être évoqué parmi ces éléments qui marquent l’identité des jeux Sunsoft. Sunsoft a pris rapidement cette habitude de mettre des petites cutscenes narratives dans leurs jeux et plus particulièrement en introduction. Que ce soit Blaster Master, Fester’s Quest, Journey to Silius, Gremlins 2, Gimmick, Batman et Batman Joker ou même After Burner.
C’est quasi systématique dans leurs jeux et c’est pas si anodin comme choix car ça peut être coûteux en espace à une époque où chaque octet compte. Pendant les phases de jeu, les écrans sont composés d’un assemblage de blocs qui se répètent, c’est pas très coûteux par contre un bel écran titre, et a fortiori une cutscene composée donc de plusieurs écrans, sont en général des images à usage unique composées de tuiles uniques et ça peut vite être coûteux en espace pour un simple agrément. C’est pas pour rien que sur la première période de jeu Famicom les écrans titres étaient extrêmement austères, quasi vides. Un bel écran titre c’est déjà vraiment un luxe. Mais Sunsoft n’est pas inconscient non plus, ils ont attendu le passage aux cartouches 256Ko pour prendre cette habitude systématique de mettre des intros dans leurs jeux, ça reste quand même un luxe peu courant à l’époque.
Voici donc les différents points que j’ai pu constater comme marqueur de l’identité des jeux Sunsoft sur NES selon moi mais ça peut être sujet à débat. J’entrevois quand même une certaine logique globale qui trahit une démarche plutôt pertinente des programmeurs de Sunsoft et consiste à partir de la machine, du hardware, et d’y chercher ce qui lui est spécifique, ce qui fait son ADN, pour s'approprier ses atouts et les exploiter autant que possible. Il y a comme une obstination dans cette direction qui semble plus forte que chez les autres studios (je dis pas pour autant que ce sont les jeux NES les plus aboutis techniquement, y a d’autres critères qui comptent, c’est difficile à juger et y a beaucoup de concurrence)
Le paradoxe c’est que je ne suis pas forcément très fan des jeux Sunsoft. J’adore le premier Batman qui fait largement partie de mon top NES mais en dehors de celui-ci j’ai pas vraiment d’affect avec les autres jeux Sunsoft pour l’instant. Ça peut évoluer mais j’ai quand même une préférence assez nette pour le catalogue Nintendo, Konami, Capcom ou même le plus modeste Natsume par exemple. Mais je reconnais que Sunsoft a fait des choses intéressantes avec panache, une certaine variété, et évidemment une identité. Il leur manquait probablement quelque chose pour transformer tout ça et briller au-delà de cette période finalement courte. Aujourd’hui Sunsoft n’existe plus vraiment si ce n’est en surfant parfois sur des titres de cette époque.
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