2 Août 2018
La pratique du retrogaming te plonge dans un océan de milliers de jeux de qualité très variable et il devient vite nécessaire de juger rapidement si un jeu est bon ou pas pour faire le tri et ne pas perdre trop de temps (rien que le catalogue NES/Famicom me parait être un puits sans fond, j'en vois pas le bout). Même sur le catalogue 8bit caractérisé par un minimalisme qui devrait simplifier notre jugement ça reste une tâche très difficile et hasardeuse (en plus d’être en partie subjective). On sait d'avance qu'on va faire des erreurs de jugement trop hâtif mais c'est un mal nécessaire et avec l’expérience on s'améliore tant bien que mal dans cet exercice.
Certains jeux me laissent une mauvaise impression dès les premières secondes. Tu sens en quelques éléments symptomatiques que le jeu a une conception très approximative et que tu vas probablement perdre ton temps. Y en a certains dont l'indice est même dans la signature (par exemple tous les jeux Micronics qui sont même pas au niveau d'une alpha) et c'est donc assez évident d'autant plus quand les lacunes débordent largement sur la partie technique. Et d’autres ou c'est plus délicat et pourtant il faut prendre une décision. Je vais donc vous évoquer le dernier exemple auquel j'ai été confronté pour vous illustrer un peu le processus qui s’exécute dans ma tête dans les premières secondes/minutes de jeu.
Le tout dernier jeu que j'ai testé est un jeu Famicom de Konami de 1988, Wai Wai World. La promesse est séduisante puisqu'on traverse l'univers de Konami par l’intermédiaire de divers environnements et divers personnages (et musiques) tous empruntés à des licences Konami de l'époque, donc ça semble plutôt ambitieux et rassurant : c'est pas n'importe quel jeu a priori. De plus le jeu est généreux et propose dès le début un accès libre à 6 stages très longs et très ouverts avec de l'exploration et du backtracking ayant pour objectif de délivrer les autres personnages jouables afin d'avoir les bonnes compétences aux bons endroits. Et une étape finale encore assez généreuse composée de phases de shmup qui font aussi référence à d’autres jeux Konami puis d'un ultime stage. Il y a même un mode 2 joueurs. Tout ça semble donc relativement appétissant. Rien que pour découvrir la partie Castlevania ça me donnait plutôt envie.
Avant même d'entrer dans le jeu on passe par un menu de sélection ou l'on dirige déjà le personnage et un première couac attire déjà mon attention. L'animation de marche du personnage est codé de façon extrêmement simplifié. Quand on s’arrête de marcher cela freeze simplement l'animation de marche plutôt que de proposer une frame alternative (voir plusieurs) dédié a cette état "idle" ou le personnage est au repos comme cela se fait dans tout les jeux. J'ai rarement vu ça dans un jeu (et j'en ai pas de souvenir). Ca ressemble a ce qu'on ferait en tant que débutant sur un premier jet ou sur un prototype. C'est pas grand chose mais pour moi c’était déjà un signe inquiétant car ça n'augurait rien de bon.
Puis dans la foulée vient la découverte qui déjà sonnait le glas (oui ça va très vite parfois) : la gestion des triggers de la caméra. À quel moment ça peut être une bonne idée d'enclencher le scrolling quand t'es au bord de l’écran? Y a diverses méthodes sur la façon de trigger la caméra en fonction des mouvements du joueur mais normalement l'idée commune c'est plutôt d'ouvrir au mieux le champ de vision du joueur en amont de l'action pour qu'il puisse anticiper et pas de faire l'inverse. Qu'est ce qui peut bien passer par la tête d'un concepteur pour faire ça et ne pas y voir de problème ?
Alors vient aussitôt le moment (on est toujours dans les tous premiers mètres du premier stage) ou je découvre que le jeu utilise sans retenu des aplats de couleurs rouges pour le décor. La même couleur que celle qui défini les contours du personnage principal, ce qui donne par moments une lisibilité particulière. Les contraintes de palettes sont fortes sur NES, on fait pas ce qu'on veut, mais j'ai rarement vu d'erreurs aussi grossières qui se répètent dans plusieurs stages (et ce n'est pas pour économiser des couleurs, les palettes des sprites ne sont pas les mêmes que celle du background).
Après plusieurs minutes vient aussi le constat sur les patterns ennemis. Je ne sais pas comment l'on nomme la partie de la conception d'un jeu qui concerne le placement des ennemis et leurs patterns/IA. Je situe ça entre le level design et le game design (j'ai tendance moi à inclure cela dans le level design mais ça porte un peu à confusion). Peu importe, le fait est que dans le contexte minimaliste des jeux 8bit cet aspect prend une importance assez déterminante pour créer des situations de jeu satisfaisantes et c'est souvent, je trouve, l'un des éléments qui permet le mieux de distinguer les bons jeux d'action de ceux conçus à la hâte sans ambition avec des ennemis placés au pif et des patterns random sans aucune réflexion car tout ça prend beaucoup de temps (et donc d'argent) dans la conception d'un jeu.
Et dans Wai Wai World on est manifestement plutôt dans ce second cas. Suffit de voir ces ennemis aux patterns random sans IA et une vitesse pas adaptée au gameplay. Comment cela pourrait-il permettre des situations de jeu intéressantes ? Quand tout est un peu conçu au pif reste plus qu'à joué soit même au pif et c'est pas très passionnant. Tout n'est pas aussi catastrophique (et une conception randomisée donne par moment des choses qui fonctionnent bien, c'est la loi des probabilités, c'est ce qui rend aussi les jugements difficiles) mais ça en dit long quand même. C'est un indice supplémentaire.
À ces différents points s'ajoutent d'autres relativement troublants aussi comme le fait qu'on change de personnage en appuyant sur "jump" et "up" (donc faut sauter pour changer de perso) alors même que le bouton select est disponible. Et d'autres petites choses de ce type.
Le routing du jeu semble aussi assez complexe pour réussir a débloquer tous les personnages et leurs upgrades. Ça doit prendre beaucoup de temps sans aide et c'était sûrement un point positif pour l'époque mais c'est le genre de critère qui vieillit mal; du coup le routing est plutôt décourageant même si c'est sans doute quand même l’élément le plus intéressant du jeu.
Bref j'ai donc vite pris cette décision au bout d'une demi heure de laisser tomber ce jeu au bénéfice d'un autre. Du coup je pourrai pas vous certifier que c'est un mauvais jeu, je suis même sur que les petits japonais de l’époque ont du apprécier et y a une vrai couche d'exploration qui est séduisante mais pour moi il réunit suffisamment de critères pour se faire éliminer de ma liste sans sommation. C'est la dure loi de l'abondance.
Y a quand même un clin d’œil qui m'a amusé (autre que ceux adressés aux licences Konami notamment au travers de réorchestration sympathique de certaines musiques cultes), c'est la représentation de la mort, clin d’œil à Alex Kidd qui lui même était un clin d’œil au personnage de Teddy boy et qu'on retrouve aussi dans Pit Pot (merci Tetsuro), donc très marqué Sega 85-86. Si vous connaissez d'autres exemples?
À titre indicatif il existe un second épisode de Wai Wai World qui est très différent, plus classique. Il mise essentiellement sur l'aspect shoot, fini l'exploration, et avec un style graphique cette fois vraiment SD dans la lignée de Splatterhouse Wanpaku Graffiti ou Kid Dracula. Ça permet aussi d'introduire des licences qui n’étaient pas encore sur le marché lors de l’épisode précédent comme Contra ou Bio Miracle.
Que ce soit Wai Wai World 1 ou 2, il existe des traductions françaises en ROM hack.
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